Réflexions d'un expatrié

ou l'Occident et l'Orient dans la ligne de mire !

03 - Elles sont libres les pensées

03 - Elles sont libres les pensées

La magie du réveillon est l’occasion d’un nouveau départ, le sentiment d’avoir la chance de recommencer à zéro envahit notre pensée et nous sommes, à ce moment-là, submergés par un bonheur euphorique et flou… l’heure à la fête est trop prédominante pour que quelqu’un puisse rester impassible! L’optimisme à la Candide, et cette croyance si répandue que le monde finalement est bon, est souvent trompeur et l’acteur principal dans le fameux conte de Voltaire l’apprendra dans son épuisant parcours autour d’un monde en proie au mal. Comme Candide, nous aussi sommes convaincus qu’à la fin tout va bien se passer, selon la devise que notre bonheur lui seul est lié à la force de notre croyance! Qu’importe, carpe diem, et restons optimistes d’après la devise d’Aristote “le bonheur est une fin en soi” pour mieux affronter les accidents de la vie!

Pour ma part, je vous souhaite une excellente et prospère Bonne Année 2018, chères amies et chers amis! Que les étoiles brillent pour éclairer votre chemin!

Il est temps d’avancer ou, je dirais avec Candide, “c’est bien dit […] mais il faut cultiver son jardin”! L’appel à construire un monde meilleur par soi-même, refusant un fatalisme néfaste.

Que me soit permis un historique supplémentaire au précédent billet sur la famille Bonaparte en Corse, à l’écart de la légendaire histoire napoléonienne. Dans toutes les grandes familles ou dynasties se trouvent au moins une personne qui se distingue de la majorité et du “mainstream” soit par sa pensée, soit par sa façon de vivre… le “mouton noir”. Évoquons donc Pierre-Napoléon Bonaparte!

Sur les hauteurs de la Balagne (Haute-Corse) se trouve un très beau village millénaire, “l’irréductible” Calenzana. Son histoire, romanesque, peut être comparée à celle du village pittoresque de Corleone en Sicile. Lequel devint la vedette -ne pas confondre avec “vendetta”- de plusieurs films d’une grande renommée! Remémorons nous les épisodes du Parrain (Godfather), réalisé par Francis Ford Coppola et adapté d’après le roman éponyme de Mario Puzo. Comme acteurs, les légendaires Marlon Brando et Al Pacino!

Calenzana, pas encore vedette sur la scène cinématographique, témoigne quant à elle aussi d’un passé “plombé”, marqué par son histoire du banditisme et des dédales du pouvoir de quelques familles bien implantées! Entre autres, celle de la famille Bonaparte!

Ledit Prince Pierre-Napoléon Bonaparte naît à Rome en 1815, quelques jours avant l’exil à St. Hélène de son oncle Napoléon Ier! Fils de l’Altesse impériale Lucien Bonaparte, frère cadet de Napoléon Ier, le Prince Pierre est élu Conseiller Général de Corse et vient habiter à Calenzana dans son château en 1852, y laissant planer toute une histoire mystérieuse. Sa vie antérieure est déjà très mouvementée! Tôt dans sa jeunesse, Pierre se passionne pour la chasse, l’équitation et le maniement des armes. Le Prince profite de surcroît d’un enseignement sophistiqué des Jésuites d’Urbino, lieu de naissance de l’illustre peintre de la Renaissance Raphaël.

Pierre est hélas mêlé à diverses intrigues et péripéties, dont des faits d’armes sévèrement condamnés. Après être incarcéré au fort Livourne pour quelques mois, il choisit de gagner l’Amérique en 1832, et vit dans la résidence de son oncle Joseph dans l’état de New Jersey! Par la suite, il s’engage auprès du général Santander dans la campagne contre l’Équateur. Puis il repart en Italie et s’installe avec son frère Antoine sur les terres de Canino! L’idylle prend fin en 1836…

Pierre est arrêté à tort pour le meurtre d’un sous-lieutenant de la police et incarcéré au château Saint-Ange à Rome! Mais il est chanceux. Le pape commue sa lourde peine en exil hors des états papaux. Enfin homme libre et indépendant, Pierre écrit une biographie poétique sur le fameux et controversé personnage historique de Sampiero Corso! Suit encore son ouvrage sur la bataille de Calenzana contre le seul Roi élu, sur 6 mois, Théodore Ier (Baron allemand de Westphalie), figure de proue de la lutte contre Gènes!

In fine, le prince rend hommage aux hommes de Calenzana qui résistent avec bravoure à cet assaut tout en restant fidèles à la garnison de Calvi, base de Gènes! Le prince évite les festivités mondaines, préférant une vie retirée… N’a t-il pas servi pour la nation comme courageux commandant lors de nombreuses batailles, celle en Algérie auprès de la Légion étrangère ou en Colombie aux côtés du Général Santander? Non sans compter les diverses escarmouches avec les redoutables bandits en Italie, lors de son séjour sur un vaste domaine à la campagne avec les bergers!

Après avoir erré sur les terres lointaines, et des années rythmées par la chasse, l’étude et l’écriture, Pierre Bonaparte rejoindra les mouvements révolutionnaires qui éclatent à Paris en 1848 et qui amènent Napoléon III au pouvoir! Désigné représentant de la Corse à l’Assemblée Nationale, Pierre, le rebelle et penseur libre, rejoint le rang de la gauche et s’éloigne de plus en plus de son cousin Napoléon III. Il s’installe alors en 1852 à Calenzana dans son château surplombant la mer!

Vieux sabreur, réputé coureur de jupons, il s’intéresse aussi à la philosophie et à la promotion des idées idéalistes et démocratiques. Dans l’intérêt commun, le Prince ordonne entre autres que Calenzana soit dotée de l’eau potable. En reconnaissance, les Calenzanais nomment la place publique à son nom et une jolie fontaine surmontée d’une statue y trône! Ils l’aiment bien leur Prince charmant à l’esprit ouvert…

Mais le Prince rebelle et solitaire, harcelé par des soucis de toutes sortes, n’est pas soutenu par sa famille. Son cousin Napoléon III s’oppose même à sa candidature lors des législatives corses. Le Prince envoie une dépêche : “Je constate ma position hybride, qui fait de moi une espèce de paria, un masque de fer du 19e siècle […]”.

Quelques années plus tard, Pierre quitte son Île de beauté et acquiert le château de Epioux en Wallonie! Fin 1869, lors d’un séjour à Paris, quelques publications invectives contre la dynastie des Bourbons mènent le Prince Pierre Napoléon à la contre-attaque en faveur de son oncle et le showdown commence… d’un côté le Prince, de l’autre quelques journalistes d’opposition. Le Prince est un homme de lettres avec le sens de l’honneur, de l’amour de l’ordre et de la parole donnée. Napoléon Ier est son idole et la maison de Bonaparte lui est sacrée malgré son peu d’enthousiasme pour son cousin Napoléon III.

Le Prince est empêtré dans une polémique avec deux journaux d’opposition, “La Revanche” et “La Marseillaise” invitant la population à “faire sauter l’empire”, terminant leurs articles par l’appel à l’insurrection! Pierre répond dans “L’Avenir de la Corse“ dirigé par Jean de la Rocca, admirateur de Napoléon Ier. Pierre le remercie par une lettre violente dans cette même gazette. Le ton monte et en janvier 1870 Louis Tommasi, éditeur de “La Revanche” répond entre autres “…Non, ce Prince n’est pas corse. […] En 1848, nous avons eu la naïveté de croire à la sincérité des professions de foi des Bonaparte…”. Pour comble, il demande même réparation au Prince!

Celui-ci, agacé, demande satisfaction par duel avec Tomasi et le marquis Rochefort, rédacteur en chef de “La Marseillaise”. Mais les duels prévus ne peuvent avoir lieu! A l’origine est une bagarre entre le Prince et deux coursiers… Un des coursiers, Victor Noir, grand et costaud, frappe Pierre violemment au visage et celui-ci riposte avec son revolver… Victor Noir est touché à la poitrine et quitte la pièce. Le deuxième coursier, lui-même ayant sorti son pistolet, s’enfuit dans la rue en criant “À l’assassin”! Victor Noir succomba à ses blessures!

La dramaturgie de la vie ou la volonté du destin sont inexorables aux souffrances de notre vedette, surnommé le Prince “noir” … de nouveau accusé d’un meurtre, cette fois d’un journaliste, et de surcroît traqué par une presse partiellement haineuse et d’une foule surexcitée.
Pierre qui ne s’enfuira pas, est jugé par la Haute Cour de justice, comme l’exige son rang. Enfin l’état de la légitime défense est reconnu par le grand jury et l’accusé est acquitté sous des acclamations d’une grande partie du public.

Le Prince noir qui a mené sa vie, condamné hélas aux changements perpétuels, est certainement une personnalité pleine d’audace et de bonté, mais aussi au sang chaud et passionné… personnage hors normes et donc dans le sens du “génie incompris” du Romantisme, courant littéraire du début du 19e siècle.

La formule mythique, “il n’y a point de génie sans un grain de folie” (Aristote) s’adapte bien à notre héro !