Le temps d’une mélancolie encombrante s’en prend à nous, les nostalgiques. Cependant la brume d’automne se lève propulsée par quelques rayons de soleil et nos rêveries se fixent au loin et laissent apparaître une ville glorieuse et énigmatique. Une cité excentrique et fantasmagorique entre deux mondes -l’Orient et l’Occident- à la fois protégée et agressée par la mer qui l’entoure. Surréalisme taillé dans la pierre suscitant intérêts artistiques et historiques !

Voici Venise la belle, la Sérénissime triomphale et impériale ! Avec son va-et-vient de gondoles et burchielle… Son entrée maritime s’ouvre sur une estrade menant à la somptueuse basilique Saint-Marc et ses quatre chevaux dorés -butin de Constantinople, au Campanile, Palais des Doges et à la Piazza San-Marco. Tous rayonnent de leurs splendeurs époustouflantes ! Deux colonnes majestueuses accueillent le voyageur à l’entrée de la piazzetta, vestibule de la place Saint-Marc. D’un côté, la colonne Saint-Marc et son lion aux ailes déployées et pattes griffant l’évangile -blason de la ville-, symbolise force et protection religieuse. De l’autre côté, celle de Saint-Théodore épée à la main, pied sur un crocodile, symbolise le guerrier défenseur. Une référence à Saint-Georges vainqueur du dragon.

Après la chute de Rome, Venise ouvre son patrimoine architectural et artistique… c’est la fusion du style vénitien et byzantin. La basilique Saint-Marc, hébergeant les reliques du saint, est une illustration par excellence de cette esthétique orientale… sa ressemblance avec celle de Sainte-Sophie à Istanbul est incontestable ! Plusieurs palais sur le Canale Grande, l’église de Sainte-Marie et Saint-Donat… sont révélateurs eux aussi. Les premiers traités commerciaux importants signés avec les musulmans datent de l’apogée des mamelouks, au gouvernail d’Égypte et de Syrie de 1250 à 1507. Un dialogue naît et pas seulement limité au commerce… des échanges culturels laissent leurs traces marquantes. Des expressions arabes figurent dans les langages commerciaux de la Sérénissime, devenue nouvelle plaque tournante. En 1298, Marco Polo s’aventure en Orient pour réaliser le rêve oriental de l’époque.

Avec le déclin de Byzance, un nouveau style gothique architectural se manifeste. Chefs-d’œuvre gothiques vénitiens par excellence en sont le Palais des Doges, Palais Giustinian, Ca’ Foscari ou Ca’ d’Oro… Les maisons à Venise ont deux entrées, la porte donnant sur le canal -la porta dall’acqua- et l’autre sur la rue. Du rez-de-chaussée, on monte au “piano nobile” dans les appartements lumineux aux fenêtres généreuses et décoratives.

Avec l’arrivée tardive de la Renaissance, un nouvel élan se répand. Les formes et pigments révolutionnaires de la peinture facilitent la tâche. Les humanistes de l’aristocratie dirigeante sont ouverts à ce mouvement “moderne” et les artistes libres de suivre leurs inspirations. Toutefois, la censure des principaux mécènes est toujours d’actualité ! On parle de l’époque dorée du XVe siècle ! Les familles d’importance telles Vivarini et Bellini, puis les grands maîtres Titien, le Tintoret et Véronèse surprennent le monde artistique. Gentile Bellini rejoint 1479 la cour du sultan ottoman, Mehmet II le conquérant. Pour son harem, il peint le premier portrait réaliste, façon vénitienne. Bellini dessine avidement cet univers fascinant. Parallèlement, les grands architectes de la Renaissance réalisent d’importants édifices et ce jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Siècle aussi de l’officialisation du Carnaval de Venise. Période de luxure, débauche, bals, opéras, comédies et fêtes ! Les Vénitiens peuvent porter, d’octobre au mardi gras, la bauta, grande cape à capuchon de drap noir, le tricorne et le masque blanc. Plus tard, libre court est donné à l’imagination de chacun chacune pour se déguiser. Personnages aux caractères typiques souhaités ! Les costumes chamarrés des protagonistes de la Commedia dell’arte aux silhouettes grotesques sont en vogue ! Le spectaculaire vol de l’ange du sommet du campanile ouvre le Carnaval…

Carnaval, remède contre la mélancolie d’automne, libère les fêtards… et la lagune de sa brume encombrante…

Wolf