Badri, le conquérant (Flash Bruxellois 27)
Les tempêtes d’automne soulèvent la poussière sans aucun avertissement, entraînant les nuages et enlevant fleurs et feuilles ! L’automne qui tout d’abord a dispersé ses couleurs flamboyantes un peu partout, se montre soudain récalcitrant et cherche la destruction de sa propre oeuvre. Image d’une violence sauvage, digne d’un scénario cinématographique pour communiquer des sentiments chamboulés, comme dans “Autant en emporte le vent”, ou pour générer des situations menaçantes, telles illustrées dans les westerns(-spaghetti) où les protagonistes se trouvent dans un duel permanent !
La mer se déchaîne et l’Aqua Alta reprend possession de la Sérénissime, habituel à cette période-là, rien d’extraordinaire alors… elle en a vu d’autres ! Venise, la république aristocratique et ses doges élus pour gérer les affaires internationales, est toujours en mesure de défendre la légitimation de son empire maritime. Puissance mondiale au XVe siècle, ses diplomates sont de fins stratèges. Le palais de Venise à Rome, édifice de la Renaissance et résidence du vénitien Pietro Barbo, futur Pape Paul II, abritera ensuite l’ambassade de Venise pour près de deux siècles.
La Sérénissime dominait les côtes de l’Adriatique, la Dalmatie, l’Istrie, Chypre et Corfou. Elle étendait ses terres jusqu’au nord de l’Italie.
Toujours en concurrence avec d’autres républiques maritimes comme Gênes, Pise et Amalfi, la Cité s’est maintenue avec son sens aigu du commerce et sa ruse diplomatique. Toutefois, la préservation de son commerce par les voies maritimes fut à l’origine de multiples hostilités avec Gênes. Puissance militaire allant jusqu’à vaincre les Sarrasins en Méditerranée occidentale, les Génois étaient seuls susceptibles de rivaliser avec Venise. L’éternel duel hégémonique de ces deux antagonistes maritimes a culminé en 1379 lorsque les Génois s’emparent de l’île de Chioggia. Point stratégique de l’exploitation des mines de sel, l’île de la lagune est dépendante des retombées économiques de ses exportations. La fortune de Venise est basée sur ses monopoles du sel et des épices, éléments essentiels de son commerce maritime et fluvial sur le Pô et l’Adige.
Après avoir enduré un an de siège, les Vénitiens obtiennent la victoire sur leur agresseur et obligent Gênes, en 1381, à reconnaître sa prédominance sur l’Adriatique par le Traité de Turin. Toutes les cités impliquées dans l’économie du commerce maritime ont leurs entrepôts, dits comptoirs, installés dans les principaux ports de la Méditerranée et même jusqu’en Alexandrie ! A Venise, l’Etat est très entreprenant pour assurer la construction des navires et organiser les convois commerciaux. Au XVe siècle, son Arsenal Novissimo, entrepôt naval et dépôt d’armes et munitions, représente le plus important chantier surpassant celui des Ottomans. Gènes, par contre, privée de moyens, est plutôt obligée de se servir d’intermédiaires pour ses opérations commerciales et guerrières. Ce sera la tâche de la banque Casa San Giorgio et d’autres institutions financières et concessionnaires. Finalement, les Génois seront les financiers des premières opérations espagnoles dans les Amériques, gérées par l’explorateur Christophe Colomb.
D’autres affaires lucratives s’offrent aux cités portuaires de Venise et Gênes au travers des croisades… elles sont favorablement placées pour fournir armes et navires. La conquête de Constantinople fin du XVe siècle affecte sensiblement la navigation et le commerce méditerranéens. Toutefois, l’expansion ottomane ne sera bloquée que par la gigantesque bataille navale de Lépante en 1571. Elle réunit escadres vénitiennes et espagnoles, galères génoises, pontificales, maltaises et savoyardes pour vaincre les Turcs. Plus tard, en 1797, c’est Napoléon Bonaparte qui s’en prendra à la Sérénissime pour l’occuper. L’annexion de Gênes “la Superbe” par la France est le point final de l’indépendance pour ces deux cités prospères et garantes d’une culture marquée par des siècles d’ingéniosité artistique d’excellence…
Patrimoines culturels mondiaux pour mieux résister aux tempêtes futures… tempêtes et humeurs automnales incluses… espérons-le !