Réflexions d'un expatrié

ou l'Occident et l'Orient dans la ligne de mire !

16 - La Commedia Dell'Arte, reflet de la Renaissance

16 - La Commedia Dell'Arte, reflet de la Renaissance

Alors que le monde s’agrandit au fur et à mesure de découvertes maritimes, tandis que la politique de l’Europe s’organise a une plus vaste échelle, des conceptions nouvelles apparaissent dans le domaine intellectuel et artistique. La chute de l’Empire byzantin 1453 accélère la renaissance culturelle de l’Occident. Des hommes de science byzantins trouvent refuge en Italie apportant leurs idées et manuscrits antiques. Les savants et artistes italiens tirent profit de ce savoir. La pensée humaniste de la Renaissance, née en Italie fin du XIVe siècle, se répand progressivement au-delà des Alpes à l'occasion des invasions par les Rois de France (Charles VIII, Louis XII, François Ier).

Ce courant philosophique place l’humain au centre de l’univers. C’est le renouveau de la pensée néoplatonicienne. Aux dernières limites de l’intelligible, affirme Platon, seul le philosophe peut apercevoir l’idée du bien. “L’idée du bien est le principe de la science et de la vérité”! Les idées sont d’un ordre supérieur -parfait, pur, absolu et éternel- et c’est à l’homme de s’élever vers elles. L’être permet aux idées d’exister, la vérité permet à l’âme de les saisir...

L’effervescence intellectuelle et artistique italienne influence profondément l’Europe occidentale. Nombre de princes fortunés ne manquent pas de faire appel aux services des artistes réputés, tandis qu'une foison d’artistes européens se rendent en Italie y étudier les œuvres découvertes grâce à l'invention de l'imprimerie. On relit les textes de la littérature antique qui abordent les valeurs humaines et intellectuelles. Un courant humaniste naît. Alors que Dieu était au cœur de la pensée médiévale, la Renaissance place l'homme au centre de ses préoccupations.

On s’interroge sur le monde qui l’entoure. Passionnés par l'Antiquité, les humanistes apprennent les langues pour traduire les textes anciens. La crème de la crème des artistes allemands, français, flamands et espagnols suivent ce chemin des idées innovatrices pour les siècles à venir. Un exemple en est Albrecht Dürer, influencé par Mantegna avant même de se rendre en Italie, où les grands maîtres Tintoret et Titien lui apprennent la finesse du dessin et de la coloration.Même les plus hautes sphères de la société régnante sont prises dans ce courant. François Ier -Père des Lettres et des Arts- est un amoureux inconditionnel de l'Italie et de son art.

Grand mécène, il collectionne statues, manuscrits anciens, miniatures, tapisseries, tableaux. Il réalise ses projets architecturaux en embellissant le château de sa jeunesse, le Château Royal d'Amboise selon le “goût italien”; en ajoutant au Château de Blois l'aile Renaissance et son fameux escalier; et surtout, en construisant le Château de Chambord ex nihilo, au milieu de nulle part, son “rendez-vous de chasse idéal”, ce fleuron de la Renaissance française, et croqué par nul autre que Leonardo da Vinci, son “padre”, comme il appelle avec respect le vieux maître!


« [...] On dirait que, contraint par quelque lampe merveilleuse, un génie de l’Orient l’a enlevé pendant une des mille nuits, et l’a dérobé aux pays du soleil pour le cacher dans ceux du brouillard avec les amours d’un beau prince. [...] On se croirait dans les royaumes de Bagdad ou de Cachemire, si les murs noircis, leurs tapis de mousse ou de lierre, et la couleur pâle et mélancolique du ciel, n’attestaient un pays pluvieux. [...] ce  fut bien un beau prince dont les amours s’y cachèrent ; il était roi, et se nommait François Ier. '' Alfred de Vigny, Cinq-Mars, 1826.


Le Roi fit donc appel à Leonard de Vinci en lui faisant don de 7.000 pièces d'or et l'installant dans le manoir de Clos-Lucé près d’Amboise. A l'automne 1516, il franchit les Alpes avec sa chère Mona Lisa dans les bagages -le roi lui achètera la Joconde 2 ans plus tard. Leonardo y vécut jusqu'à ses dernières années où il repose pour l’éternité.                                                        

Le Moyen-Âge s’achève avec l’éclosion de la Renaissance, milieu du XVe en Italie puis en Europe. Des autodafés collectifs étaient monnaie courante en France et en Italie où, sur “des bûchers de plaisir“, de leur plein gré et en signe de renoncement aux vanités, hommes et femmes venaient jeter aux flammes cartes à jouer, livres, bijoux, perruques, parfums [Johan Huizinga, L’automne du Moyen-Âge, 1975]. Nous reste en mémoire le triste destin de Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), issu d’une riche famille aristocratique de Mirandole, près de Modène. Ce surdoué étudie philosophie, langues anciennes et voyage en Italie accumulant une immense bibliothèque. A 23 ans, il publie ses 900 Thèses, l’ambition étant de couvrir l’ensemble de la connaissance humaine. Contraint par le pape Innocent VIII de renoncer à treize conclusions jugées hérétiques et condamné à Paris pour hérésie, il se voit refuser l’entrée à La Sorbonne et se retire à Florence. Devenu dévot, il lègue tous ses biens aux pauvres et brûle ses poèmes de jeunesse, déterminé à parcourir le monde pieds nus pour annoncer l'Évangile, une fièvre maligne l'en empêchera. En cette fin du Moyen-Âge, taraudée par une forte passion de la vie, le doute n’était pas permis: il n’est de plénitude qu’en Dieu et hors de Dieu que tromperie et dissimulation.“Il fallait donc à tout instant rappeler aux mortels l’insignifiance des plaisirs humains en comparaison de ceux qui les attendent auprès de Notre Seigneur” [Pascal Bruckner, L’euphorie perpétuelle, 2000]...Calcul subtil qui habille la résignation puisque "Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. [...] Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon", Evangile de Luc, chapitre 16 verset 13. Je dirais que le pathos du salut doit encore l’emporter sur le souci du bonheur.                                                            

Dans l’esprit du temps nouveau, la Commedia dell’Arte célèbre la Renaissance. Appelée aussi Commedia all'Improviso (à l'impromptu), commedia a soggetto (à canevas) ou commedia popolare (populaire), elle tient ces noms divers par opposition au théâtre littéraire (commedia sostenuta). La Commedia dell’Arte est révélée en Italie aux alentours de 1550, mais ses origines nous viennent des farces durant le Moyen-Âge. Ce genre de théâtre populaire signifie littéralement “théâtre interprété par des gens de l’art”; elle provient d’une longue et vieille tradition latine... le pantomime.Ce style de comédie populaire est un théâtre anti-littéraire; elle se joue non pas à partir d’un texte rédigé à l’avance, mais d’un simple canevas, un scénario à partir duquel les acteurs improvisent et construisent un dialogue. Le public connaît ces situations et attend de l’acteur une performance qui le fasse rire, un divertissement bien apprécié. Tout à l’opposé, la commedia erudita, forme de théâtre plus élitiste, est écrite par des auteurs lettrés, des gens de cour et jouée par ses courtisans amateurs dans des spectacles fastueux. Dès 1576, à la demande de Henri lII, une première troupe de la Commedia dell’Arte est venue en France!  Très populaires, ces troupes composées de comédiens, d’acrobates et de ménestrels, improvisent à partir d’une comédie, d’une intrigue, d’une danse ou d’acrobaties. Durant le XVIIe, les gouvernements espagnol et français jouent de leur influence en essayant de censurer ce genre théâtral, aux accents satiriques, effrontés...


Penchons-nous sur l'héritage de ces personnages pittoresques de la Commedia dell’Arte si bien reconnaissables à leurs costumes, masques, caractères stéréotypés et toujours présents dans les corsos du Carnaval de Venise.
Quatre types de personnages prédominent :
Pantalone: citoyen de Venise, dit “Le Magnifique”, vêtu d’une longue culotte, au caractère fort, impressionnant, riche mais très avare, séduisant en vain les jeunes femmes, il incarne généralement un marchand méticuleux, crédule ou libertin.
Il Dottore: originaire de Bologne, ami de Pantalone, aimant la bonne chère, il représente les savants en les caricaturant. Docteur en Philosophie, Mathématiques et Médecine, il n’a pas le savoir-faire de sa fonction mais le fait croire. Ses longues phrases, souvent en latin, servent à embrouiller son interlocuteur et masquer son ignorance.
Le Capitaine: originaire d'Espagne, ce soldat beau parleur, vaniteux et fanfaron porte un uniforme rayé aux boutons dorés, coiffé d'un chapeau à plumes et d'une épée à son ceinturon.
Zanni: le serviteur originel (abréviation de Giovanni), descend directement des farces des bateleurs du Moyen-Âge.


Les valets “zannis” sont des personnages populaires par excellence et souvent les plus complices avec le public. Ils sont imposteurs ou idiots, intrigants ou lâches, les voici:
Arlequin: zanni au costume rapiécé et coloré, paresseux, crédule, bouffon et amoureux transi de Colombine. Arlequin serait inspiré des bouffons du carnaval (eux-mêmes inspirés des fêtes Atellanes romaines -farces burlesques, souvent obscènes-) et devrait l’étymologie de son nom à la mythologie germanique (ref. Erlkönig) et française (ref. Hellequin) qui dans les deux cas sont des créatures du diable. Son masque porte une petite bosse au front.
Pierrot: niais, plaisantin à la figure enfarinée, non masqué, en habit blanc à longues manches... d'où ces vers de Théophile Gautier rappelant la blancheur du Pierrot qu’il imagine passant la tête par le rond d'une note blanche: “Battant de l'aile avec sa manche / Comme un pingouin sur un écueil”... Au fil du temps, il devient un personnage lunaire.
Polichinelle: le "petit poussin" de Naples, (Pulcinella signifiant Poussin). Une légende raconte qu’un petit poussin, au pied du Vésuve, n’arrivait pas à éclore. Il piaillait si fort qu’il réveilla le démon du volcan et celui-ci, agacé par le bruit, rompit la frêle coquille. Il en extrait le petit poussin en l’attrapant par le dos, lui laissant sa marque: la fameuse bosse. [cf. Compagnie À-Tout-Va!]. Serviteur à la fois fourbe ou benêt, intelligent, courageux et peureux, porte chemise blanche, grand couvre-chef en forme de tricorne et masque noir à la peau ridée et au nez crochu.
Scaramouche: zanni hâbleur, fabulateur et froussard. Vêtu de noir à la mode espagnole, portant une longue dague. Il se prétend prince, marquis, seigneur de contrées imaginaires. En réalité, un valet capable d’accomplir de véritables exploits, comme celui de donner un soufflet avec le pied, même à un âge très avancé. N’oublions pas son célèbre interprète, Tiberio Fiorilli, qui fit l’admiration de Molière au théâtre du Petit-Bourbon.
Colombine: française, humble soubrette ou domestique fougueuse, vive d'esprit, fondamentalement optimiste, sans illusion aucune. Tour à tour fille de Cassandre (ce vieillard ridicule, sot, dupé par Arlequin ou Pierrot), femme ou maîtresse de Pantalone, amoureuse d'Arlequin ou femme de Pierrot.  

La magie de ce kaléidoscope surréaliste touche à sa fin… Ma troupe et moi, sous vos applaudissements imaginaires, vous saluons bien bas et le rideau tombe…