11 - La nostalgie dans sa splendeur
Déjà les signes d’un printemps tardif se cumulent en ce début de déconfinement… une liberté ou une nouvelle autonomie s’installent doucement… les premiers cafés et bars, lieux de convivialité par excellence, pointent leur nez effronté! La vie trépidante reprend enfin ses couleurs…
Ces théâtres de vies légendaires émergent au cours de mon évasion mélancolique et une fugue culturelle s’impose.
Arrivé à l’aéroport Marco Polo à Venise, je monte dans le vaporetto qui m’emmène Place Saint Marc et, en quelques enjambées, je m’installe confortablement dans un des salons de l’incontournable Caffè Florian du XVIIIème siècle, sous les arcades du palais ducal de cette place mythique, à côté du Campanile. Temple de luxe aux décorations rococo et portraits d’illustres vénitiens tels Marco Polo, Titien, Goldoni…
“… Il a vu bien des folles nuits du carnaval de Venise, alors que Venise avait encore un carnaval et que les masques mystérieux et rieurs se croisaient en s’appelant sous les galeries des Procuraties. Il se souvient des rois et des princes exilés, des généraux vainqueurs et insolents…” (Louise Colet – L’Italie des Italiens, 1862)…
Et si l’on en croit Honoré de Balzac “…un foyer de théâtre, un cabinet de lecture, un club, un confessionnal, et convient si bien à la simplicité… les espions abondent à Florian, mais leur présence aiguise le génie vénitien”. Je dirais l’antichambre de l’histoire, réunissant doges de la Sérénissime, ambassadeurs, espions, riches commerçants et les belles et élégantes femmes… il se raconte que Giacomo Casanova, je le nommerai “le doge de l’aventure” toujours à la recherche de nouvelles conquêtes, en aurait fait son terrain de chasse…
Cette institution accueillait également les écrivains Alfred de Musset, George Sand, Marcel Proust et encore Jean d’Ormesson. Flânant dans les dédales de la ville, je m’attable au Harry’s Bar et sirote son fameux cocktail Bellini -nectar de pêches blanches et Prosecco- en hommage au grand peintre vénitien de la Renaissance, Giovanni Bellini… Et je laisse mes pensées s’évader, rêveur, comme dans une bulle, la poésie dans l’air et la légèreté d’une belle époque!
Allons faire un petit tour à Rome… La vie sur la Via Veneto et ses grandes vedettes des années soixante donnent un flair extraordinaire à la ville éternelle. La culture y est vécue corps et âme par toutes et tous, s’inscrivant dans la vie et s’imposant aux rêves de toute une génération. Allusion est faite à la comédie dramatique “La dolce vita” de Federico Fellini avec l’extravagant Marcello Mastroianni, la pulpeuse diva Anita Ekberg et la bourgeoise Anouk Aimée, ou à la turbulente tragi-comédie “Mariage à l’italienne” de Vittorio de Sica avec Sophia Loren et encore Mastroianni, ou à la pellicule historique “Le Guépard” de Luchino Visconti interprétée par Burt Lancaster, Claudia Cardinale et Alain Delon, …les écrivains tels Alberto Moravia, Elsa Morante, Pier Paolo Pasolini ou Ernest Hemingway.
Mais aussi le controversé Roi Farouk d’Égypte, en exil à Capri après avoir été renversé par le Mouvement des officiers libres, organisation militaire clandestine créée par Gamal Abdel Nasser. Ce roi emblématique, initiateur de réformes comme la redistribution des terres, la santé publique, propageant une politique résolument pro-arabe et résistant aux Anglais, “…est tout d’abord appelé -Farouk le Bien-aimé- à son avènement au trône tant il est populaire auprès de son peuple. Une aura et une popularité qui n’est plus de mise au moment de sa chute quinze ans plus tard.” [Caroline Kurhan, Le roi Farouk, Un destin foudroyé]. Au soir de sa mort, Oum Kalsoum rechanta “Jeunes fils du Nil / Piliers de notre génération! / L’Egypte vous appelle / Répondez à l’élan d’une noble destinée / Et avancez droit en deux colonnes d’espoir”…
Tout ce beau monde apporte du glamour aux roaring sixties, au cours desquelles tout était encore possible et permis!
N’oublions pas d’évoquer Paris, et son Café de Flore à l’instar de la déesse mythologique homonyme à Saint Germain des Prés. Lieu de rencontres littéraires où se croisent Guillaume Apollinaire, André Breton, Louis d’Aragon…, café de tous débats philosophiques et politiques -pour recréer le Monde- et de toutes rêveries artistiques. Et aussi, le centenaire Harry’s New York Bar, bar original de Manhattan remonté intégralement Rue Daunou -prohibition oblige- avec ses boiseries acajou, plafond étamé, chic et cosy et chargé d’histoire… Sartre, Coco Chanel, Rita Hayworth, y ont traîné leurs guêtres dégustant des cocktails créés ici par son propriétaire Harry… Bloody Mary, White Lady, non sans oublier le cocktail d’amoureux, créé par son fils Andy, le Blue Lagoon -vodka, curaçao bleu, jus de citron…
Charmé par le curaçao et sa couleur intense caraïbe, laissons-nous porter par le vent et plongeons à présent dans les lagons bleus du paradis de l’Île de Curaçao, la perle des Caraïbes, …sa capitale à l’architecture coloniale aux couleurs pastels, ses nombreuses plages dont Mambo Beach… et découvrons un monde sous-marin avec ses secrets et trésors. Tortues géantes, coraux luminescents, poissons aux couleurs vives! Bonne occasion de sillonner les profondeurs des mers, océans, et pourquoi pas, embarquons sur le Nautilus avec Jules Verne dans les abysses azur…
Comme souvent, c’est la gente féminine qui se cache derrière les œuvres artistiques… Un bel exemple en est celui des écrivains George Sand et Jules Verne…
En effet, Jules Verne, après avoir dédicacé ses deux premiers ouvrages de la collection des «Voyages Extraordinaires» à George Sand, celle-ci lui cria son enthousiasme:
“J’espère, lui écrivit-elle en juillet 1864 […bien installée sur les divans du Caffè Florian (lol)…], que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de la mer et que vous ferez voyager vos personnages dans ces appareils de plongeurs que votre science et votre imagination peuvent se permettre de perfectionner.” Jules Verne retint la suggestion de l’illustre romancière et, quelques années plus tard, publiait son œuvre “Vingt Mille Lieues sous les Mers”…
Prometteuses échappées belles que ces aventures romanesques sous-marines.
Elles ont eu leur sublime adaptation en cinémascope, en prise de vues réelles, dans la pellicule éponyme de 1954 sous la régie du grand hollywoodien Richard Fleischer, fils de Max Fleischer, créateur des personnages de Betty Boop et Popeye. Max donna son accord afin que Richard puisse travailler aux côtés de son rival Walt Disney pour la réalisation ardue de ce film culte.
Petit résumé de l’histoire : en 1869, les bateaux naviguant dans le Pacifique doivent affronter un monstre mystérieux qui s’acharne sur eux. Alarmé, le gouvernement américain arme la frégate “Lincoln”. Ned Land, fabuleux harponneur canadien joué par le cabotin Kirk Douglas, l’homme de science et spécialiste de la faune sous-marine le professeur Aronnax, interprété par Paul Lukas, et son assistant Conseil, Peter Lorre, partent à la recherche du supposé monstre marin.
Après plusieurs jours de pérégrinations, et une attaque du supposé monstre, ils seront recueillis par le sous-marin Nautilus -de pur style victorien jusque dans les moindres détails de son intérieur et appareillage- avec à ses commandes, le mystérieux et solitaire capitaine Nemo, joué par James Mason. Nos trois acolytes y resteront pendant près de huit mois… Au cours de cette période, ils combattent un poulpe géant en pleine tempête et de nuit, de nombreux hommes de l’équipage meurent, le capitaine Nemo, happé par les tentacules du monstre, sera sauvé in extremis par Ned…
L’attaque par le calamar géant, une scène fantastique et inoubliable qui fera histoire et augmentera sensiblement le budget… Ce film atteint une renommée mondiale à sa sortie… jusque-là la plus chère production de l’histoire du cinéma ne serait-ce qu’en raison de l’énorme charge technique notamment due aux prises de vues sous la mer souvent dangereuses et imprévisibles. Le budget des Walt Disney Productions à bout de souffle, la ruine presque imminente! Grâce au marketing poussé et convaincant, les banquiers sollicités injectent une aide bancaire conséquente! Et le tournage peut se poursuivre…
Une vraie odyssée allusion faite à Homère et son héros Ulysse, roi de l’île d’Ithaque en Grèce. Ce navigateur téméraire voguait au gré des vents, le long des côtes italiennes après la bataille de Troyes qu’il n’a d’ailleurs pu conquérir qu’après des années de siège et grâce à sa grande ruse, racontée dans l’Iliade. Ulysse s’en retourne donc chez lui retrouver sa douce et fidèle épouse Pénélope et ses bons et loyaux sujets…
A l’évocation du capitaine Nemo, signifiant “personne” en latin, me vient en particulier à l’esprit, et comment pourrait-il en être autrement, l’aventure d’Ulysse et ses compagnons qui accostent sur l’île des Cyclopes. De féroces géants, à l’oeil rond unique, dévorant les hommes… Partis à la découverte des rivages, Ulysse et ses compagnons arrivent aux abords d’une caverne semblant vide. Curieux, ils s’y aventurent. Mal leur en prend… En effet, c’est la grotte de “Polyphème”, un des fils du dieu Poséidon… Celui-ci arrive sur ces entrefaits et surprend les intrus. Polyphème les attaque, dévore deux des compagnons d’Ulysse qui en réchappe! Et par quelle ruse? Ulysse lui sert plusieurs coupes de vin pour l’enivrer.
Au cours du dialogue qui s’en suit, Polyphème demande à Ulysse quel est son nom. Celui-ci lui répond : mon nom est Personne… ce qui plaît au cyclope qui décide de le dévorer en dernier. Polyphème, sous l’effet de l’alcool, s’endort… Ulysse profite de l’occasion, aidé par ses marins, pour transpercer son oeil avec un pieu en bois d’olivier chauffé sur un feu de bûches ardentes. Alertés par les hurlements de douleur du cyclope, ses voisins accourent lui demandant qui a essayé de le tuer. Polyphème leur répond Personne… “Bon alors si c’est personne, tu as dû perdre la raison”, et ils s’en retournent vers leur caverne respective… Sauvés, Ulysse et ses amis rejoignent leur vaisseau, cachés et attachés sous les moutons du cyclope, et reprennent le large continuant leur périple dangereux et jonché d’obstacles…
L’homme, me semble-t-il, est perdu et non adapté au monde dans lequel il vit. Il est confronté aux soubresauts de la nature ou aux volontés imprévisibles des dieux… tout lui reste un mystère. Figurant tragique dans un univers qui le dépasse…
“Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout.” Blaise Pascal, 1670…