Réflexions d'un expatrié

ou l'Occident et l'Orient dans la ligne de mire !

02 - Les Virages de l'Histoire

02 - Les Virages de l'Histoire

Le soleil projette ses ombres et joue au magicien en créant tout un spectre de couleurs. Le festival d’automne ensorcèle les forêts, attire les promeneurs et procure plaisirs aux enfants et chiens se jettant dans les feuillages. Les brumes de retour, se faufilent au-dessus des champs et empêchent le soleil, notre bonheur, à déployer toute sa splendeur. Les vents du nord gagnent tout doucement du terrain… signes avant-coureurs de l’hiver.

Moment adéquat pour profiter du bien-être de la chaleur du soleil et prendre le cap direction sud, vers les rivages ensoleillés de la Méditerranée. L’Île de Beauté, retrouvant son calme, me semble la destination privilégiée et ce sur tous les plans, soleil, Monte & Mari, et plage, gâtée d’une riche culture et une histoire parsemée de virages surprenants, en concordance avec la complexité marquante des caractères natifs de l’Île.

Parmi tant d’autres, Pasquale Paoli et Napoléon Bonaparte. Ce dernier, étroitement lié au coup d’état du 18 brumaire (9 novembre), met fin à la Révolution! Une importante manœuvre politique rocambolesque racontée un peu plus tard! Je dirais, la brume d’automne étroitement liée à notre récit, même sous le soleil corse! Echapper à la dévotion de ces deux héros populaires en Corse est hors de question. Rien qu’à Ajaccio, lieu de naissance de Napoléon, l’hommage des pouvoirs publics pour Napoléon et sa famille est manifeste et massif. Omniprésente, la myriade de rues, boulevards, cours et places, nommés Bonaparte, Napoléon, Premier Consul, Empereur, Impératrice, Roi de Rome, Letizia, Cardinal Fesch, Lucien Bonaparte, Solferino et Austerlitz.

Autre endroit mythique, la grotte Napoléon, lieu-dit Casone, où il se retirait pour méditer. De nos jours, elle est surmontée d’une immense statue à son effigie. Les jardins de Napoléon et sa maison natale sont ainsi au cœur des activités touristiques, tout comme le réputé musée Fesch, instauré par son oncle le cardinal Fesch. Le musée abrite une vaste collection d’oeuvres d’art baroque, Seicento italien. Par contre, aucune rue ne fait allusion à Pasquale Paoli! Les dénominations ne traduisent semble-t-il que l’attitude courtisane d’une élite opportuniste du début du 19e siècle. De loin la plus grande ville, Ajaccio la mondaine et son palais Fesch, centre névralgique de la Corse, joue son rôle lors des grandes régates impériales, spectacles maritimes sur trois jours… attraction couronnée par un important feu d’artifice, chaque 15 août. Son port de commerce accueille près de 800.000 passagers par an, alors que celui de l’Amirauté est destiné aux plaisanciers et aux plaisirs du palais grâce à une grande variété de restaurants exquis.

Enfin le port Tino Rossi, célèbre chansonnier du pays, reçoit les pécheurs pour célébrer leur patron Saint-Erasme. Dirigeons à présent les projecteurs vers Sartène. Cette ville, édifiée sur un promontoire rocheux en Corse du Sud, se distingue pour être la ville la plus corse. En son centre, une imposante statue de Pasquale Paoli, le “babbu” et patriote corse, en contraste avec Ajaccio l’impériale. Sartène -l’austère- aux façades de granit gris, est une ville déchirée début du 19e entre royalistes et bonapartistes. À tel point que seul un traité signé en l’église de Sainte-Marie (1834) met un terme aux luttes fratricides. L’église se situe à la limite de deux quartiers opposés et borde ce qui deviendra plus tard la place de la Libération. Santa Anna (royaliste), le plus vieux quartier de la ville en impose, si on veut, lorsqu’on franchit cette place par l’imposante voûte de l’hôtel de ville. Grâce à Santa Anna, la ville est de nos jours reconnue “Ville d’art et d’histoire” après celle de la ville portuaire de Bastia dans le nord de l’île.

L’austérité des quartiers historiques de Sartène reflète encore la présence des Aragonais du Moyen-Âge et sa relation au sacré, héritée et importée d’Espagne! Elle s’exprime encore de nos jours par la procession annuelle du Vendredi Saint de “Catenacciu” (l’enchaîné) et animée depuis par les confréries de “Battuti” (les flagellants). Les souvenirs des puissants seigneurs féodaux de la Rocca et de leurs successeurs, propriétaires terriens, sont toujours très présents. Parmi les grandes bâtisses et leurs trésors de décoration intérieure, se trouve la superbe maison de la famille Ramolino, qui vit naître la mère de Napoléon Ier! Restons sur l’histoire fascinante des Paoli. Pasquale est né en 1725 à Morosaglia au centre-nord de la Corse. Son père, Hyacinthe ou -Giacinto- Paoli, général de la nation, est l’un des chefs des insurgés de la Consulta d’Orezza, contre la domination génoise.

La Consulta, sous son influence, déclare l’indépendance de l’île dans une constitution écrite, d’avant-garde, introduisant la souveraineté du peuple en liberté et évoquant la séparation des pouvoirs, et ce déjà en 1735! Une respectable avancée ! On parle même d’une matrice pour les colonies anglaises, qui elles aussi proclameront leur indépendance constitutionnelle! Mais des tensions et différences entre des clans mènent à l’échec, et Giacinto ne peut s’imposer pour finaliser la constitution et continuer à diriger la Consulta. Son projet pour un meilleur destin de la patrie échouant, il quitte sa Corse tant aimée et s’installe avec sa famille à Naples. Son fils Pasquale, formé à l’Académie Royale de Naples, accomplit aussi une carrière militaire.

De retour en Corse, Pasquale est élu général en chef prenant en 1755 la relève de son père. A son tour, il proclame la Corse nation souveraine et indépendante de la République de Gêne et renouvelle, avec grand élan contre divers courants, la Constitution Corse. Il dote l’île d’une administration, justice, monnaie et université à Corte et fait reconnaître le pavillon blanc à tête de maure en Europe. Pour encourager le commerce, Paoli fonde le port de l’Ile Rousse par lequel les huiles de Balagne s’exportent sans passer par Calvi, encore aux mains des Génois.

Cette fois la Constitution avance et crée un choc en matière d’égalité! Elle reconnaît le droit de vote à toutes personnes de plus de 25 ans, dont… les femmes! La Corse est une des premières nations, avec la Suède (1708) considérant la femme comme citoyenne! Tout cette belle construction est caduque suite au traité de Versailles entre Gênes et la France (15 mai 1768)! Gênes endettée est à bout de souffle suit à plusieurs défaites infligées par l’armée des indépendantistes. Elle cède provisoirement ses droits sur la Corse à la France, effets néfastes…

Encouragé, Paoli reprend les armes et harangue les populations à se soulever contre les armées de Louis XV. Après quelques batailles glorieuses contre une suprématie française, le très courageux contingent de Paoli est attiré dans un guet-apens et essuie une défaite sanglante à Ponte-Novu en 1769. Après quelques années d’une véritable existence, le rêve d’un état libre de Corse est brisé et le traumatisme d’un peuple né! L’état prometteur de tolérance notamment en matière religieuse est réduit à néant, tout comme les idées de liberté. L’espérance vers un futur de lumière avec Pasquale Paoli et son chemin patriotique écrasé sous la désapprobation d’une majorité des nations européennes! La plupart des idées idéalistes de Paoli et de ses partisans apparaissent dans l’oeuvre de l’illustre Montesquieu “Esprit de Lois“, et Voltaire, admiratif et fasciné par l’héroïsme de Paoli, s’exclame “Toute l’Europe est Corse…”!

La légende Paoli passionne l’Europe des Lumières, même les têtes couronnées, de Catherine de Russie à Frédéric II. Jean-Jacques Rousseau quant à lui a proposé de prêter sa plume pour rédiger la constitution de l’Etat proclamé par les indépendantistes! Toujours dans le contexte des acquis de la Révolution -Liberté, Égalité, Fraternité- (1791), Bonaparte publie une lettre d’apaisement en faveur de Paoli de retour en Corse durant la révolution. Deux ans plus tard, Paoli s’oppose toutefois ouvertement au régime plus radical de la Convention à Paris et sera dénoncé comme un traître par Marat. Dans l’intérêt de son objectif d’une indépendance, il finit par répondre à l’appel de soutien de l’Angleterre et proclame l’Union de la Corse à l’Angleterre en 1793!

Ce geste désespéré brûle définitivement la relation avec la France et heurte Bonaparte, un de ses admirateurs. La petite aventure corse des Anglais dure seulement deux ans, ceux-ci incapables à se faire respecter par la population de l’île. Pendant ce temps, Bonaparte “enfant de la Lumière” est de retour de sa débâcle militaire en Egypte, échappant de justesse à la flotte de l’Amiral Nelson. Il cherche à reprendre la main pour consolider son pouvoir et débarque discrètement, en 1799, avec un petite escorte à Fréjus. Son expédition orientale est de toute manière considérée comme un effort glorieux, eu égard à l’énorme oeuvre scientifique… une réussite historique pour dévoiler les mystères de l’Égypte pharaonique.

Ce succès a conforté la renommée du jeune général de seulement 30 ans. A Paris, les vieux révolutionnaires cherchent “un sabre” pour faire un coup d’état. L’étoile Bonaparte brille encore, auréolée du retentissement de ses victoires en Italie contre les Autrichiens et en Egypte contre les Mamelouks! Avec l’aide décisive du fidèle général Murat, il choisit le 18 brumaire, moment historique, pour destituer un Directoire corrompu et désuni. Par une rumeur infondée d’un complot jacobin contre le Conseil (des 500 Anciens) et avec l’aide du président du Conseil, son frère cadet Lucien Bonaparte, le Conseil obtient la soi-disante “protection” des soldats du Général! Il atteint par cette ruse et la pression sur quelques adversaires du Directoire, un changement de la Constitution et devient ainsi le seul empereur autoproclamé de France et ce après l’abolition de la monarchie! La Révolution fait place au vainqueur, au nouveau César… au titre de Premier Consul de France, inspiré de la Rome antique!